RECHERCHE | Evolution du monde rural (hier, aujourd'hui et demain)
Le monde rural a connu de profondes mutations, en France comme à l’international, de façon hétérogène, le faisant évoluer du modèle traditionnel de la paysannerie à une approche contemporaine plus scientifique d’agriculture intensive. Enjeu majeur pour l’autonomie et la subsistance d’un Etat, la population du monde monde rural dans nos sociétés n’a pourtant fait que diminuer.
Aujourd’hui, ce modèle d’agriculture intensive est remis en cause et des solutions alternatives émergent, en prônant un retour au naturel.
Le monde rural, à la fois un espace de vie et de production, évolue pour des raisons économiques et rationnelles de l’exploitant. La physionomie de ses paysages change. Mais parallèlement, ce territoire est porteur d’un imaginaire pour les urbains en quête de Nature.
Au-delà des conflits d’usages que peuvent générer ces deux visions, c’est également la crise de confiance des contemporains face à l’industrie agroalimentaire qui est sous-jacente.
Grâce à un bref historique retraçant cette évolution, nous tenterons de donner notre vision prospective de ce monde rural en mouvement.
Penser le monde rural s’est fait jusqu’à récemment en parallèle et par opposition au monde urbain. En caricaturant, la Nature et la Culture s’opposaient et seraient le négatif l’une de l’autre.
Bien-sûr, un lien fort et d’interdépendance existe entre rural et urbain, qui a été illustré dès la Renaissance à Sienne sur la fresque de “l'Allégorie du Bon et du Mauvais Gouvernement” peinte par Ambrogio Lorenzetti, au XIVe siècle. On y voit les échanges entre l’espace ouvert et ordonné de la campagne, et l’espace clos et fortifié de la ville. En effet, l’une ne pourrait pas exister sans l’autre car c’est grâce à la surproduction agricole que des ventes et des échanges peuvent naître et que l’espace urbain, qui ne produit pas sa propre nourriture, peut perdurer et prospérer. (pour en savoir plus sur cette fresque).
Cette interdépendance suppose également une protection de ces espaces ouverts et une stabilité territoriale. A cette époque, la population urbaine est inférieure à celle des campagnes. Aujourd’hui, la situation s’est inversée avec en 2050 selon l’ONU, deux personnes sur trois qui seront citadines. Cette évolution démographique importante s’est constituée par plusieurs vagues importantes d’exode rural, par exemple lors de l’industrialisation des villes au XIXe siècle attirant plus de main-d’oeuvre travaillant dans les manufactures.
Le travail urbain est également souvent entouré d’un imaginaire d’indépendance, d’émancipation offert par la ville.
Mais parallèlement à cette première relation économique et commerciale entre la ville et la campagne, le monde rural devient de plus en plus en espace refuge, calme, simple et sain. De la villégiature romaine à la volonté de “se mettre au vert” contemporaine, le monde rural devient également celui du loisir, de la promenade, de la méditation et du jardin. On peut penser à la fois à la Villa d’Este à Rome qui crée une véritable scénographie à la gloire de la connaissance dans son jardin renaissance pour ouvrir largement et dominer la campagne romaine en contre-bas. Ou encore au Hameau de la Reine Marie-Antoine à Versailles où une ferme fonctionnelle est créée. Tout l’écosystème rural est mis en scène (des prés, des champs, en passant par les troupeaux) pour permettre à la Reine de recevoir et de se promener. Le hameau a également un rôle pédagogique dans l’apprentissage des enfants royaux et est fortement influencé par les traités de René-Louis de Girardin, également créateur d’Ermenonville.
Pourtant, bien qu’intimement liées, ville et campagne aujourd’hui s’ignorent. En témoigne en France le mitage progressif des terres arables ou encore les conflits contemporains sur le péri-urbains, territoire où imaginaire des citadins exilés et campagne productive se rencontrent. En quittant la ville pour s’installer à la campagne, les citadins déposent un imaginaire sur le paysage de la campagne, et leurs attentes, souvent associées à la contemplation d’une carte postale et de retour aux sources. Les agriculteurs eux façonnent leur territoire selon leurs besoins et les outils dont ils disposent (comme en témoigne la disparition des haies bocagères avec l’arrivée de la moissonneuse-batteuse).
En effet, la machinisation de l’agriculture a modifié la structure du monde rural parallèlement à son besoin de main-d’oeuvre réduit drastiquement.
Cette modernisation s’accompagne également d’un nouveau rapport au sol et à la terre amendée artificiellement par des engrais chimiques, la mise en place de la monoculture et la plantation de végétaux choisis pour leur rendement, pouvant même avoir été génétiquement modifiés (OGM).
Evidemment tous ces éléments ont un impact direct sur la physionomie du territoire rural mais également sur son organisation socio-économique : les petites exploitations tendent à disparaître, les conditions d’élevage des animaux changent etc.
Ce monde rural multi-facettes est en mouvement dans son rapport à l’agriculture, souffre d’une dépréciation de son patrimoine architectural et urbain. En effet, les bourgs, les bourgs sont vieillissants, peu attractifs et isolés. Ils souffrent à la fois du rayonnement économique des métropoles, mais également de la polarisation des zones d’activités commerciales en bordure, héritage de la pensée moderne et de la généralisation de la voiture.
Des programmes tels que celui “Action Coeur de Villes” tentent de répondre à ces besoins pour rééquilibrer le territoire national, mais sont malheureusement dédiés aux villes moyennes.
En effet, la modernisation de l’agriculture, dans toutes les formes qu’elle revêt, aurait des effets pervers d’appauvrissement des terres agricoles et de transmission de maladies à l’homme par le biais des antibiotiques ingérés par les animaux par exemple. Aujourd’hui, nous en savons davantage sur la structure des sols, leurs fonctionnements, et leur épuisement en tant que ressource. Une transition s’opère vers une agriculture raisonnée voire biologique (sans engrais chimique) car malgré l’image dont bénéficie la campagne d’être un environnement sain, des pollutions importantes des sols, des eaux ou de l’air ont été décelées, menant au respect de périmètre de sécurité sanitaire entre les cultures et les équipements scolaires par exemple.
Au-delà d’une prise de conscience écologique à tous les niveaux de la société, les terres agricoles sont précieuses, rares et limitées. Afin de lutter contre la pression foncière et le mitage urbain, des outils législatifs tels que le classement en zone N (naturelle) dnas le PLU les rendent inconstructibles, parallèlement à l’étude de nouvelles méthodes de production sous le regard de l’INRA permettant à la fois de maintenir cette relation urbain-rural et une meilleure gestion de nos ressoures (sols, eau, énergies).
Ces nouvelles pratiques changeront la physiologie de nos paysages ruraux avec une plus grande diversité végétale, l’agro-foresterie sur les grandes parcelles de céréales notamment.
Le monde rural évolue, à la fois dans sa dimension paysagère, sociale, démographique, technique, mais également dans sa relation à l’urbain auquel il faisait jusqu’ici opposition pour exister. Des grands jalons peuvent être identifiés dans le passage d’un monde rural paysan à celui de l’agriculture raisonnée.
On peut également ajouter à ces nouvelles pratiques la permaculture, théorisée par Bill Mollison dans les années 1960 en Australie suite à l’observation d’un appauvrissement de la faune et de la flore provoqué par l’agriculture intensive pour faire émerger des solutions grâce aux recensements de techniques ancestrales réinventées.
Les popuations néo-rurales dans les bourgs sont d’ailleurs très demandeuses de ces modes de production accompagnés par le mise en place de vente directe ou de circuits courts type AMAP ou “La Ruche qui dit oui”. C’est une façon pour ces urbains de renouer le pacte tacite avec le monde rural en limitant les intermédiaires.
Des programmes sont également développés tel que celui de Nature 2050 valorisant la biodiversité et mettant en oeuvre les principes de la COP 21.
Il avait été d’ailleurs pensé que la population néo-rurale augmente avec la mise en place du télé-travail. Ce dispositif se met en place progressivement et ne semble pas étendre les aires d’influence des métropôles et ainsi rééquilibrer la répartition de la population à l’échelle du territoire. Car ce qui continue à fortement discriminer le monde rural par rapport à l’urbain est l’accès à l’emploi. Pourtant venu s’installer en ventant les qualités architecturales simples, de matériaux biosourcés, du patrimoine rural.
La création des intercommunautés rurales a également pour ambition de construire une solution commune, accentuée par la décentralisation de certains services de l’Etat. La carte venant d’être réorganisée, il est difficile d’avoir un retour critique sur cet échelon pour le monde rural.
Un nouveau rapport plus perméable semble émerger entre urbain et rural. Nous avons évoqué la dénomination des espaces péri-urbains qui bénéficie à la fois des influences de la ville et de la campagne mais d’autres initiatives sont érigées en exemple comme Detroit et la réappropriation de la ville et ses délaissés après les différentes fermetures des usines.
La ville retrouve en son sein des espaces de production qui vont au-delà de la subsistance individuelle pour devenir auto-suffisante. Que ce soit par l’appropriétation de friches ou la construction de formes verticales, le monde urbain semble se replier sur lui-même traduisant ainsi le trouble enviant et les inquiétudes des contemporains. Repenser cette inter-relation est une véritable source de proejt pour la ville : autosuffisance, comme mous venons de l’évoquer mais également diminution de l’empreinte carbone de la consommation humaine, réponse sanitaire pour plus de transparence pour la production locale et raisonnée d’aliments, confort général des villes grâce à la végétalisation pour lutter contre les îlots de chaleur.
Pourrait-on imaginer un nouveau modèle urbain et rural renvoyant à la production maraîchère en périphérie de Paris jusqu’au XIXe siècle.
Aujourd’hui, parallèlement à la crise de confiance des contemporains face à leurs assiettes, la prise de conscience écologique générale le monde rural revêt d’autres symboles et se réinvente dans sa façon de produire. Nourrir mieux, local et bon, vivre loin de l’agitation des villes et de leurs pollutions, pour revenir à l’essentiel : quelques uns des slogans des néo-ruraux, ces nouveaux habitants du monde rural.
Crédits : Agathe Raguit @aer-architecture