Vers une architecture permaculturelle ?
La permaculture est un concept emprunté au monde agricole prônant de travailler avec la nature en pensant l’intervention humaine dans un écosystème global. Théorisée par Bill Mollison (biologiste) et David Holmgren (essayiste) dans les années 70 en Australie, la permaculture interroge les méthodes employées par l’agriculture intensive contemporaine menant à l’appauvrissement des sols, la destruction des écosystèmes et de l’environnement en général.
Ses théoriciens vont ensuite penser la permaculture plus loin en y intégrant une dimension humaine et sociale proposant ainsi une éthique, voire un mode de vie pour certains, en amenant à se réinterroger sur leur dépense aux énergies fossiles et aux produits industriels notamment.
Souvent, le concept permaculturel est résumé ainsi :
- prendre soin de la Nature,
- prendre soin de l’Humain,
- créer l’abondance et redistribuer les surplus.
A partir de ce triptyque, la permaculture est définie en 12 piliers, tous liés les uns aux autres et interagissant les uns avec les autres.
La définition de ces 12 piliers permet de pouvoir sortir le concept de son contexte agricole premier pour devenir 12 principes de conception, ayant des dimensions environnementales, humaines, sociales et économiques, applicable à tout projet.
Mais qu’est ce que la permaculture et ses 12 principes de conception peuvent apprendre à l’architecte ?
La permaculture prônant de ne pas séparer les différents éléments et de les penser en relation (principe 8), il ne paraît pas opportun de détailler ses 12 points en les appliquant directement au processus de conception architectural, mais plutôt de vous présenter le projet d’une architecte, Robin Allison.
Initié par Robin Allison, le projet d’Earthsong est à la fois architectural, paysager et humain.
Cette présentation n’a pas pour but d’être exhaustive mais de simplement présenter une démarche d’architecte utilisant la permaculture pour penser un projet.
J’ai rencontré Robin en août 2016 à Earthsong. Ici les voitures restent à l’entrée de la parcelle, des maisons en bois avec leurs toits en tôle ondulée sont posées dans un environnement verdoyant. Ces trente deux maisons sont organisées autour d’espaces communs structurant, porteur des valeurs d’échange et de partage pour la communauté. Pas de barrière, des cultures, une petite mare, un poulailler … Nous ne sommes pour autant pas à la campagne mais dans la banlieue d’Auckland, à quelques minutes à pied de la gare, au milieu d’un tissu pavillonnaire classique.
Earthsong n’est donc pas isolé, bien qu’il propose un mode de vie alternatif, tendant vers l’autonomie alimentaire et énergétique du lieu, et la parcelle est très contrainte pour ménager les espaces privés de chacun en garantissant un espace communautaire généreux.
Dans cet article, je ne présenterai pas l’ensemble du projet et les choix qui y ont été faits. Je vous présenterai la démarche permaculturelle mise en œuvre et appliquée à la gestion des espaces extérieurs comme à l’architecture.
Parler du projet architectural du point de vue de la permaculture permet de l’aborder de façon globale, sans distinction classique entre « espaces architecturés construits » et « espaces extérieurs paysagers ».
De plus, la permaculture me paraît être un concept moins réducteur que celui de l’écologie sur l’architecture. En effet, parler de l’impact environnemental des matériaux employés permet de penser l’environnement économique, logistique et constructif dans lequel le projet s’inscrit. Même si le matériau en lui-même n’est pas le plus écologique, le fait qu’il soit disponible, produit sur place ou compatible avec les compétences et les savoir-faire locaux en font un matériau intéressant.
Dans les maisons d’Earthsong, tous les matériaux employés ne sont pas naturels (notamment les toits en tôles ondulées et le béton des sols et fondations). Pourtant elles ont été primées par « Building Research Association of New Zealand », en tant « qu’ Excellent Green Home Scheme ».
Si vous souhaitez en savoir plus au sujet des matériaux employés, vous pouvez cliquer ici.
D’autre part, le budget était limité. Il a donc fallu faire des compromis pour que le projet s’inscrive dans une réalité économique et financière. Les objectifs du projet étaient avant tout d’offrir un espace de vie communautaire de qualité, sain, ayant un impact limité sur l’environnement, tendant vers l’autonomie alimentaire et énergétique.
Concrètement, cela signifiait de tirer parti des énergies présentes sur le site, d’apporter un confort thermique dans les habitations tout au long de l’année, d’utiliser l’eau de pluie plutôt que l’eau de ville, limiter les déchets grâce notamment au recyclage et compostage, chauffer l’eau sanitaire grâce à des ballons solaires, proposer des espaces de cultures privés et communs, limiter la circulation automobile, planter une variété importante de végétaux, gérer les eaux de ruissellement sur le site, ou bien encore favoriser le partage entre tous grâce à la mise en commun d’équipements, de compétences et d’espaces.
Ce mode de vie est partagé par tous les habitants d’Earthsong. Pourtant ce n’est pas une communauté fermée et toutes les générations sont représentées. Pour vous faire une idée plus précise de ce mode de vie, vous pouvez regarder cette brève vidéo d’une habitante présentant Earthsong.
Enfin, la vie en communauté est assurée par l’implication des habitants aux prises de décision. Chacune étant collective, elle ne peut être adoptée qu’après avoir été votée à l’unanimité. Un système de communication et d’organisation spécifique a été mis en place pour que chacun se sente concerné et puisse s’exprimer.
Si vous souhaitez en savoir plus à ce sujet, n’hésitez pas à me contacter directement.
Cette pensée globale, transdisciplinaire, au sein d’une équipe de compétences organisée par Robin, donne à Earthsong une dimension permaculturelle intrinsèque au projet.
La permaculture et le concept de cohousing ont permis à Robin de réinterroger sa pratique professionnelle. Aujourd’hui elle se définit comme « non-architecte » et met à disposition son expérience pour aider les porteurs de projets similaires à aller au bout de leur démarche.
Selon moi, la permaculture permet aux architectes de réaffirmer plusieurs principes de conception.
Tout d’abord, le temps de l’observation est valorisé.
D’autre part, le projet architectural n’est pas simplement « écologique » ou « vert » mais « durable ». Et pour répondre pleinement à cet enjeu, le projet tire parti de éléments existants et du contexte général du site (géographique, social, économique, politique, …). En ce sens, la notion de durabilité du bâtiment ne peut pas se limiter aux exigences de labels ou de simples performances énergétiques. En effet, penser à l’énergie, c’est aussi penser aux énergies humaines qui vont être déployées tout au court du projet et particulièrement au moment du chantier.
Nous voyons donc que la permaculture offre un cadre pour penser grâce à la définition de ses principes mais sans pour autant imposer de véritables recettes, procédés de mise en oeuvre ou matériaux. Cette ouverture fait toute la richesse du concept de la permaculture.
Crédits : Agathe Raguit @aer-architecture